Dessin exclusif pour l’OABA : merci à Jean-Michel Thiriet

 

Alors que la Commission européenne avait annoncé, en juin 2018, le lancement de sa stratégie « Farm to Fork » prévue pour orienter la politique agricole européenne vers une production et une consommation plus durable, le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a décidé d’un autre avenir pour la France.

C’est pendant le SPACE, le Salon International de l’Élevage qui se déroule chaque année à Rennes au mois de septembre, que Marc Fesneau a annoncé qu’un des objectifs de l’agriculture française était de développer « l’entrée en gamme » pour concurrencer les prix cassés des produits d’importation.

Miser sur le premier prix, c’est encourager à produire moins cher, au détriment de la qualité et en faisant fi des enjeux sociaux-environnementaux auxquels nous sommes confrontés. C’est également réduire la capacité des éleveurs à vivre correctement de leur travail, fragilisant leurs installations et les rendant davantage dépendants des aides publiques. Ainsi, la France se singularise de nouveau en encourageant une démarche allant à l’encontre de la politique agricole souhaitée par l’Union européenne (UE) et ses concitoyens.

Qui dit entrée de gamme, dit élevage intensif

L’élevage intensif consiste à élever un maximum d’animaux sur une surface minimale et à leur fournir une alimentation très riche afin de favoriser une croissance extrêmement rapide et/ou de garantir une production au rendement le plus élevé possible. Ces animaux sont issus d’une sélection génétique abusive visant à optimiser leur production au détriment même de leur santé.

Ces usines à protéines sont dénoncées depuis leur création par les ONG de protection animale, en témoigne la récente tribune cosignée par l’OABA contre LDC (leader de la volaille en France derrière les marques Marie, Le Gaulois et Maître Coq). Des chercheurs de l’INRAE et du CNRS ont également uni leur voix pour soutenir la critique [1] : ce système d’élevage ne respecte en aucune façon les principes de base du bien-être animal. Il est impossible d’améliorer le bien-être des animaux dans ces systèmes intensifs.

Les animaux sont élevés avec des densités telles qu’il « faut » les mutiler pour qu’ils ne se blessent plus les uns les autres du fait de leur proximité. Ces mutilations sont réalisées quasi-exclusivement sans aucune prise en charge de la douleur. Les animaux grandissent dans des environnements tellement pauvres qu’ils se mettent à développer des comportements déviants, signes d’ennui et de mal-être (cannibalisme, picage, stéréotypies). Tous les signaux sont au rouge, mais le gouvernement préfère fermer les yeux et sortir sa carte maîtresse, celle de la souveraineté alimentaire.

Pourtant, chaque année, la France exporte plusieurs centaines de milliers d’animaux vers les États membres ainsi que hors UE, dans des conditions que nous avons, à de multiples reprises, vivement critiquées. On nous répond que tout est une question d’équilibre de marchés et de préférences des consommateurs. Consommateurs bien longtemps conditionnés à coup de campagnes de promotion de la viande.

Manger plus de viande, quoi qu’il en coûte…

Les professionnels se défendront en précisant que depuis quelques années ils mettent en avant la consommation durable avec leur fameux « aimez la viande, mangez-en mieux » issu de leur campagne Naturellement flexitariens. Sans surprise, leur définition du flexitarisme est bien éloignée de celle du dictionnaire [2]. La notion de quantité est relayée au second plan, on nous parle avant tout de manger « sans culpabilité », d’« être libre de ne se passer de rien ». En bref, on encourage encore à consommer de la viande sans réellement inciter à en manger moins. Preuve en est, depuis la fin de la crise du covid, pour la deuxième année consécutive, la consommation moyenne de viande par habitant est en hausse [3].

Au lieu d’encourager le consommateur à manger moins mais mieux pour le détourner d’une agriculture non durable, le gouvernement préfère relancer une énième bataille contre les denrées alimentaires végétales utilisant des dénominations évoquant des denrées alimentaires d’origine animale (ex : steak végétal), dénonçant la tromperie du consommateur. Pourtant les professionnels ne se privent pas d’appeler de la viande de vache laitière de réforme de la viande de « bœuf »…

[1] Améliorer le bien-être des animaux d’élevage : est-ce toujours possible ? Revue Sesame INRAE, juin 2022.

[2] Flexitarisme : Mode d’alimentation principalement végétarien, mais incluant occasionnellement de la viande ou du poisson. Définition du LAROUSSE.

[3] Synthèse conjoncturelle, La consommation de viandes en France en 2022. France Agrimer, juillet 2023.
En 2022, la consommation moyenne de viande atteignait 85,2 kg équivalent carcasse/habitant.

Article paru dans notre Info Mag 2023-2

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