Photo © Hervé Boutet – atelier d’éviscération canard foie gras
Alors que la période des fêtes de fin d’année arrive à grands pas, certains consommateurs qui se disent habituellement soucieux du bien-être des animaux seront tentés de ranger leurs convictions au placard et de savourer, sans culpabilité, leurs morceaux de foie gras annuels. Retour sur une production qui défie toute éthique…
En 2021, près de 23 millions de canards et 90 000 oies [1] ont été élevés dans l’optique de produire du foie gras. Chez les canards, habituellement seuls les mâles sont élevés dans le cadre de la production de foie gras. En effet, les canes ont un foie considéré trop petit, nervuré et veiné pour intéresser la filière. Les femelles sont alors éliminées à l’éclosion par broyage ou gazage.
En 2022, ces dames ont été plus chanceuses (ou pas !), du fait de la pénurie de canetons liée à la terrible épidémie d’influenza aviaire qui a sévi cette année-là, elles ont pu être épargnées et élevées à la même enseigne que les mâles…
La majorité des producteurs sont sous l’Indication géographique protégée (IGP) « Canard à foie gras du Sud-Ouest ». Cette dernière n’impose l’accès au plein air des animaux qu’à leur 43ème jour d’âge, autorisant les éleveurs à garder leurs canards en bâtiment durant toute cette période. Avec le contexte de peste aviaire endémique, les éleveurs n’hésitent pas à user de cette autorisation pour limiter au minimum la sortie de leurs oiseaux.
Au moment du gavage, passés leurs 3 mois, les animaux sont à nouveau placés en bâtiment, dans des salles de gavage. Les canards sont logés par groupe de 3 à 10 individus dans des cages surélevées. Ces dernières, faites de grilles métalliques, ne permettent ni de fournir un point d’eau permettant la baignade et l’entretien du plumage, ni de fournir de la litière, primordiale pour le confort et l’exploration des palmipèdes. Un environnement pauvre, causant blessures et frustrations, dans lequel les canards restent environ 12 jours [2] et sont gavés 2 fois/jour. Le gavage des oies peut quant à lui durer jusqu’à 20 jours [2], elles sont alimentées de force 3 à 5 fois/jour.
Les canards peuvent ainsi passer plus de 50% de leur vie sans accès à l’extérieur, bien loin des « 90% de vie en plein air » dont se targue régulièrement la filière… Et cela sans compter les obligations de confinement des animaux, mesures de biosécurité obligatoires et récurrentes depuis plusieurs années. En effet, les palmipèdes gras, de par leur génétique et l’organisation de la filière, sont particulièrement sensibles aux virus responsables de la peste aviaire.
Un vaccin contre l’influenza aviaire
En France, depuis le 2 octobre 2023, les éleveurs de canards gras ont l’obligation de vacciner leurs animaux pour les protéger de la peste aviaire. Financée en grande partie par l’État, cette première campagne de vaccination doit impérativement s’accompagner de mesures de biosécurité strictes.
Le gavage protégé par un solide lobby…
En 1998, le Comité scientifique sur la santé et le bien-être animal a conclu que le gavage portait de graves atteintes à la santé des animaux et était préjudiciable au bien-être de ces derniers [3].
Depuis lors, les avancées ont été timides concernant le logement des animaux (interdiction des cages individuelles au profit des cages collectives), mais la phase du gavage a bien soigneusement été préservée.
Les arguments scientifiques dénonçant l’impact négatif du gavage sur les oies et les canards sont nombreux : mortalité (jusqu’à 14% pour les oies [4] !), lésions et brûlures, fractures, difficultés locomotrices et respiratoires, peur de l’homme… Pourtant, la filière n’a eu de cesse de les remettre en question. Le gavage serait la « reproduction d’un phénomène naturel » qui permettrait aux oiseaux migrateurs de faire des réserves avant leur long vol. Pour autant, les souches de canards élevés pour la production de foie gras n’effectuent pas de migration et n’ont aucune motivation à se gaver d’eux-mêmes. Quant aux oies domestiquées, elles pourraient être amenées à augmenter leur prise alimentaire avant de migrer, mais pas au point d’atteindre les quantités qu’on les force à ingérer en élevage. Enfin, la filière se justifie en évoquant la réversibilité de l’état pathologique du foie des palmipèdes en fin de production. Sous prétexte que les animaux peuvent guérir d’une maladie induite par l’homme, nous aurions le droit de leur infliger tant de souffrances ? La réponse est non.
Ne mangeons pas de foie gras !
[1] Agreste, Statistique agricole annuelle, 2022.
[2] Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, 2019.
[3] Pr. Broom et Dr. Rochlitz, Le bien-être des canards pendant la production de foie gras, Université de Cambridge, 2015.
[4] Réseau des fermes de références Dordogne, 2011.
Article à retrouver dans notre Info Mag du 2e semestre 2023
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