Nouveau règlement sur le transport des animaux : une ambition revue à la baisse. Analyse de l’OABA.
En attendant la révision globale de la législation sur le bien-être animal (pourtant promise cette année mais finalement reportée à 2024 voire 2025), la Commission européenne a présenté sa proposition de nouveau règlement sur les conditions de transport des animaux d’élevage*. La précédente règlementation datant de 2005, l’objectif de la Commission est d’actualiser les règles avec les progrès scientifiques et technologiques, l’évolution des préférences de la société et les défis croissants en matière de développement durable. Pour autant, cette proposition de règlementation essaye de trouver un équilibre entre un niveau élevé de bien-être animal et l’impact sur les opérateurs. Mais est-ce seulement possible ?
D’emblée, la Commission européenne refuse d’interdire l’export d’animaux vivants vers les pays tiers. Bien que demandé par les citoyens, les ONG de protection animale dont l’OABA, et reconnu comme source de stress par les études scientifiques, la Commission européenne justifie ce refus d’interdire par « l’impact néfaste » qu’une telle mesure « aurait sur le secteur ». De même, il est indiqué que les recommandations scientifiques ont été « modulées (Ndlr : Exclusivement en défaveur du bien-être animal) afin de garantir la faisabilité technique et économique ». La protection animale, oui, sauf quand c’est mauvais pour les affaires !
Au chapitre des modifications : des limitations du temps de transport (variables selon les espèces), un plus grand espace accordé aux animaux et un dispositif de suivi en temps réel.
Limitation du temps de transport
À l’heure actuelle, le temps de transport des animaux varie en fonction des espèces et de l’aptitude au transport des animaux. Ces temps de transports peuvent varier de 9 heures à 28 heures, parfois sans pause obligatoire (notamment pour les porcs).
Le projet de règlement indique que le temps de transport des animaux vers leur lieu d’abattage est limité à 9 heures pour les bovins, ovins, caprins, porcins et chevaux. Pour autant, et par dérogation, des trajets plus longs pourront être autorisés en cas d’absence d’abattoir adapté pour ces espèces.
La limite fixée pour le transport à des fins autres que l’abattage (pour l’engraissement) est considérablement plus longue : 21 heures (deux périodes de 10h séparées d’une heure d’arrêt sans déchargement). Après ces 21 heures, les animaux doivent être déchargés et gardés 24 heures à un poste de contrôle avant de pouvoir ensuite être transportés pendant 21 heures supplémentaires (selon les mêmes modalités) vers leur destination finale.
Pour les animaux non sevrés (veaux, agneaux, chevreaux, porcelets et poulains), le temps de transport maximal est abaissé à 8 heures sauf si le moyen de transport est équipé d’un système d’alimentation permettant à tous les animaux d’être nourris pendant le transport. Dans ce cas, les animaux non-sevrés pourrons être transportés dans les mêmes conditions que les autres animaux c’est-à-dire 9 heures maximum s’ils sont à destination de l’abattoir et 19 heures pour les autres destinations (2 périodes de 9 heures, entrecoupée d’une pause d’une heure sans déchargement).
Si la réduction du temps de transport est bienvenue, force est de constater que Bruxelles a privilégié l’aspect économique au bien-être des animaux. Pour permettre l’export des veaux irlandais ou des moutons français, Bruxelles a décidé de ne pas décompter le temps de transport maritime dans le calcul total des heures de transport au motif que « l’impact (du transport maritime) sur les animaux est moindre » comparé au transport routier ou par rail. Pour autant, ce mode de transport est source de souffrance pour les animaux notamment en raison de l’absence de ventilation efficace, d’abreuvoirs adaptés ou de dispositifs de relevés de températures.
De même, la Commission européenne indique que 2.6 millions de mammifères sont transportés chaque année pendant plus de 9 heures en vue de leur abattage et 1 million sont transportés pendant plus de 42 heures pour d’autres types de voyages entre les Etats membres. Ce changement de règlementation impactera donc 3.7 millions d’animaux. Sachant qu’entre 2017 et 2021, 1,6 milliard d’animaux ont été transportés en moyenne chaque année, il s’agit d’un bien maigre pourcentage d’animaux qui est concerné ! Pour l’abattage, la proposition de règlement indique qu’entre 0.3% et 0.4% des animaux transportés pour l’abattage dans les Etats membres le sont pendant plus de 9 heures. Enfin, la pause d’une heure entre deux transports de 9 heures ne concerne que les transports routiers, et pas ferroviaires.
L’OABA, qui ne s’attendait à rien d’exceptionnel, regrette malgré tout de voir le peu d’animaux concernés par cette révision du temps de transport.
Pour les volailles et lapins, des limites spécifiques sont également proposées en annexe du règlement. Une limite de 12 heures (temps de chargement et de déchargement compris) est fixée pour tout type de trajet. La limite est portée à 24 heures pour les lapins reproducteurs (s’ils ont un accès permanent à la nourriture et à la boisson) et les poussins. La durée est réduite à 10 heures pour les poules de réforme.
Ne sont pas considérés comme aptes au transport : les animaux blessés, les femelles gravides pour lesquelles au moins 80 % de la période de gestation est déjà écoulée (contre 90% actuellement), les femelles qui ont mis bas au cours des 7 jours précédents, les veaux de moins de 5 semaines et pesant moins de 50 kg, les porcelets, agneaux et chevreaux de moins de 3 semaines (à moins qu’ils ne soient transportés à moins de 100 km).
Plus de confort lors du transport ?
Le règlement transport actuellement en vigueur interdit le transport d’animaux vivants dès lors que les températures à l’intérieur du camion sont supérieures à 35°C. La densité quant à elle varie en fonction des espèces, de l’âge des animaux et du mode de transport.
Dans la nouvelle règlementation, la Commission européenne encadre mieux le transport des animaux en cas de température extrême. Si la proposition est adoptée en l’état :
- Les animaux (bovins, équidés, ovins, caprins et porcins) ne pourront pas être transportés (en camion ou train) pendant plus de 9 heures si la température est inférieure à -5 degrés ;
- Si la température est inférieure à 0 degré, alors les camions devront être couverts ;
- Si la température est comprise entre 25 et 30 degrés entre 10h et 21h, alors les animaux ne pourront pas être transportés plus de 9 heures ;
- Si la température est supérieure à 30 degrés, alors les animaux ne pourront être transportés que de nuit.
Pour les volailles (autre que poules de réforme) et les lapins, si la température est inférieure à 10 degrés, ils devront être transportés dans un véhicule équipé de protection contre le froid. Pour les poules de réforme, elles ne pourront pas être transportées en-dessous de 15 degrés.
Quelles températures prendre en compte ? Afin d’avoir l’autorisation de transporter les animaux, le transporteur devra indiquer la température estimée du lieu de départ, du lieu de destination et, en cas de transport d’une durée supérieure à 9 heures, du lieu du poste de contrôle où il effectuera sa pause.
Si la prise en compte des températures extrêmes dans la proposition de règlement est la bienvenue, les relevés demandés laissent à désirer. S’agit-il d’une moyenne entre les différentes températures ? Le projet de règlement ne l’indique pas. Par exemple, pour un camion au départ de Porto transportant des animaux à destination de Bayonne, la température prise en compte sera seulement celle de Porto et Bayonne. Si la température à Porto et Bayonne ne dépasse pas 30 degrés, alors le transport pourra se faire en faisant impasse sur les températures du désert espagnol bien souvent supérieures à 30 degrés.
Sur l’espace disponible lors des transports, il est difficile d’indiquer si la règlementation améliore ou non le bien-être des animaux. Comme indiqué, la règlementation actuelle dépend des espèces, de l’âge physiologique des animaux et du mode de transport. La proposition de règlement change d’approche et se base sur le poids et l’espèce pour déterminer un espace minimum disponible. La règlementation n’indique pour autant pas le choix à faire en cas de bovins au gabarit différent. La logique voudrait qu’on prenne la valeur supérieure, mais qu’en sera-t-il en pratique ?
La nouvelle règlementation traite également de l’utilisation d’appareil administrant des chocs électriques (ASACE) en la limitant à deux utilisations (contre « convenablement espacées » actuellement) sur les bovins et porcins de plus de 80 kg et uniquement sur un animal refusant de se déplacer sans raison apparente.
Bonne nouvelle : Le projet de règlementation prend en compte le transport des animaux aquatiques (poissons, céphalopodes et décapodes) allant de la conception et entretien des moyens de transport au déchargement des animaux. Lors du chargement, les opérateurs doivent notamment veiller à la qualité de l’eau (température, oxygène, niveau d’ammoniac ou dioxyde de carbone) et à ce que la densité soit maintenue dans des limites appropriées en fonction des espèces et des données scientifiques disponibles. Pendant le transport, les opérateurs doivent notamment surveiller la qualité de l’eau et éviter, tant que possible, « les mouvements incontrôlés des animaux aquatiques susceptibles de stresser ou blesser les animaux ». S’il s’agit d’une bonne nouvelle, l’absence de données chiffrées nous laisse dubitatifs sur l’application qui sera faite de cette partie de la règlementation… Comment relever un manquement si aucun critère ne permet de l’objectiver ?
Les nouvelles règles exigeront également que les véhicules routiers utilisés pour le transport d’animaux soient équipés d’un système de localisation et de suivi en temps réel.
Les animaux pourront toujours être exportés vers les pays tiers
Aucune interdiction d’exportation d’animaux vivants vers les pays tiers n’est prévue malgré les demandes des ONG de protection animale. Mais Bruxelles exige que les opérateurs d’un pays tiers amenant des animaux vers l’Union européenne garantissent le respect des règles de transport de ce règlement depuis le départ des animaux, et demandent aux exportateurs d’animaux européens de respecter la règlementation jusqu’à l’arrivée des animaux, même si le pays de destination est en dehors du territoire de l’UE.
La seule exception concerne les animaux ayant pour point de départ et d’arrivée un pays hors Union européenne mais transitant par le territoire européen. Dans ce cas, les opérateurs étrangers doivent respecter les règles imposées par ce règlement lorsqu’ils sont sur le territoire européen, sauf en ce qui concerne les durées de transport et l’obligation de marquer une pause d’une heure après dix heures de transport. Selon la Commission, imposer le respect de cette règle inciterait les transporteurs de ces pays tiers à contourner le territoire européen et donc à rallonger le temps de transport pour les animaux.
Comme les contrôles officiels ne sont pas possibles en dehors des frontières de l’UE, les exportateurs devront être certifiés par un organisme de certification qui attestera de la conformité avec les règles européennes.
Une période de transition de cinq ans est accordée aux professionnels pour mettre en œuvre ces nouvelles règles.
Au final, ces propositions sont loin d’être révolutionnaires et ne vont pas mettre un frein aux longs transports d’animaux. Se poseront les mêmes problèmes qu’actuellement avec des contrôles insuffisants, par manque de moyens et surtout des sanctions pénales inégales sur le territoire européen, chaque Etat membre restant maître de sa politique répressive.
Et maintenant ?
La Commission présente une proposition législative au Parlement et au Conseil, qui doivent approuver le texte pour qu’il soit intégré dans le droit de l’UE. Chaque chambre a la possibilité de faire des amendements et s’ils s’accordent sur le texte, alors la proposition est acceptée.
S’ils ne s’accordent pas, un comité de conciliation est formé pour travailler sur le texte et retransmettre le texte au Parlement et au Conseil. S’il n’y a toujours pas d’accord, alors le texte est abandonné (ce qui est rare).